Gueule cassée

Cette toile symbolise parfaitement mon travail.
A sa naissance, des restes de café, de peintures, et d’encres provenant d’une toile que je venais de terminer. Pas question de me lancer dans une nouvelle pièce à ce moment-là et dommage de jeter toute cette matière à la poubelle.
Alors ces éléments vont s’éclater en vrac sur une toile saisie à la volée. Elle restera dans l’atelier plusieurs jours avant qu’un visiteur ne me fasse part de son coup de cœur. Je la regarde alors plus profondément, dans l’attente de ce qu’elle a à me dire.
J’y découvre un regard qui me rappelle celui de Tommy Shelby dans la série Peaky Blinders. Je souligne ce regard dans sa forme et j’y ajoute un léger bleu. Je redessine légèrement les dents, je reforme le reste du crâne en ajoutant un ovale à l’acrylique et me stoppe.
Tout est là : les gerbes de terre que soulèvent les obus de Verdun, la guerre de 14-18, ses 4 millions de blessés dont près
de 500.000 au visage.
Lors de sa 1 ère exposition au public, cette toile a fait l’unanimité dans la diversité des lectures. Cela a été une source d’enseignement incroyable sur la façon dont le spectateur réagi à une œuvre.
Il était étonnant de constater que la plupart des visiteurs avaient une lecture immédiate qui les conduisait à distinguer qui un indien iroquois, qui un masque tribal africain, qui des oiseaux blancs volant autour d’un visage. Bon nombre d’entre eux, captés par le regard central, n’ont pas perçu le deuxième visage de profil sur la droite.
De la même façon, il a été très instructif de voir le spectateur se dispenser de recul, tant physique (pour avoir une vision globale de la toile) que mémoriel (en ignorant ses connaissances, son passé émotionnel).
De cette expérience, je retiens l’importance de captiver et de conquérir le spectateur dès qu’il pose l’œil sur la toile. Cette subjugation, j’en suis certain, ne peut être obtenue que par la sincérité du pinceau, du choix des couleurs.
L’art de peindre c’est envouter le spectateur par l’émotion transmise par la toile. Il n’y a pas ici de place pour l’analyse intellectuelle de la forme, des couleurs, etc. Peindre c’est donner son cœur à prendre à celui qui saura le tenir dans ses mains.

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