Cette toile nécessite, plus que toutes celles créées à ce jour, une aide au décryptage. Conscient du risque de voir le spectateur se jeter dans la lecture facile d’une espèce de « diable » entouré de flammes rouges, je souhaite ici répondre à ses légitimes questions.
Cette toile est construite sur les cendres d’une histoire humaine et sur une explication quasi métaphysique.
J’avais un ami, que nous appellerons Beber, un roi de la bricole lunaire, épicurien de ces petits moments de vie qui font que l’on croit au bonheur, aimé et amant d’une belle femme aux regards de tendresse, d’amour et du pardon qui l’accompagne. Un homme de plaisirs simples, de la joie d’être père, grand-père, du plaisir des musiques qu’il laissait écouter aux oiseaux quand il oubliait volontiers son poste de radio dans le cerisier.
Beber aimait le feu. Pas une soirée sans cheminée qui crépite. Et des rendez-vous devenus rituels : les châtaignes et le bourru, le welsh rabbit….
Et puis la virée en pays cathare : Beber qui sait s’orienter dans Carcassonne sans n’y avoir jamais mis les pieds, Beber qui panique et veut que l’on se sauve de Rennes-le-Château après avoir vu le bénitier de l’église, Beber enfin qui se réveille en pleine nuit à Lagrasse en criant « au feu ! » par la fenêtre de sa chambre d’hôte.
Beber qui bricole, encore et toujours. Beber qui bricole une fois de trop un abri sur son terrain. L’abri prends feu. Beber qui construit un gite pour des étudiants. Et les étudiants s’endorment dans la chaleur d’une bûche de châtaigner… qui consumera tout le studio et l’un d’entre eux.
Beber qui développe une tumeur non opérable au cerveau. Beber irradié qui dégénère, petit à petit, jusqu’au jour où tout flambe et Beber nous quitte….
L’Obscur dans tout cela ? C’est Héraclite, un philosophe grec du 6ème siècle avant JC pour qui tout est en perpétuel changement. Son caractère ténébreux semble avoir en partie contribué à sa réputation et à ce surnom « d’Obscur » dont il ne s’est jamais défait. Mais si Héraclite paraît obscur, c’est avant tout qu’il ne nous a laissé que les réponses, et non les questions qu’il a commencé par se poser à lui-même Héraclite s’oppose à l’idée de permanence, d’essence et d’identité. Il affirme le changement absolu : malgré les apparences, rien ne demeure identique mais tout se défait et se fait constamment. Le feu est le principe de toutes choses. Il est en soi un dieu selon Héraclite. Il est la réalité du mouvement, et l’état premier et dernier du cosmos à travers ses cycles : « Ce monde a toujours été et il est et il sera un feu toujours vivant, s’alimentant avec mesure et s’éteignant avec mesure. L’Etre est en perpétuel écoulement, en perpétuel devenir. »
Quand l’épouse de Beber m’apprend son décès, je me jette sur une toile. Le gesso et le café se succèdent, rien n’est écrit par la tristesse mais tout est dit dans la matière, dans l’igné de l’émotion, du souvenir. La raison reprend le dessus et les choses se formalisent, la toile se structure. Il faut dire qu’elle met beaucoup de temps à sécher (nous sommes en décembre) comme pour calmer ma passion à s’exprimer. Au total, 30 jours consacrés à une seule toile.
Le plus dur reste à faire : récupérer les rouges d’origine qui, sous l’action de l’eau et du café ont viré aux roses. Et puis éclater la toile en valorisant le blanc du gesso.
Au final, Cette toile est indubitablement la mienne, dans le prolongement de « gueule cassée » ou « autoportrait 2023 ». C’’est une toile de mes tripes guidées par la main de Beber.
Prix 1.500 €
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